Eddy de Pretto face à ses harceleurs : «Un procès contre la haine et la violence en ligne»

Dix-sept personnes, âgées de 20 à 26 ans, sont jugées jusqu’à vendredi par le tribunal correctionnel de Paris pour harcèlement à l’encontre du chanteur. Vanity Fair s'est rendu à l'audience où résonnaient beaucoup d'insultes. 
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Eddy de Pretto, le 6 mars 2018. Pascal Le Segretain/Getty Images

Kévin, 22 ans, ouvre le bal. Il s’approche, costume croisé, cheveux gominés en arrière, talons qui claquent. Ses joues s’empourprent quand le président se met à le citer : « Espèce de gigantesque fiotte, c’est la dernière fois que tu chantes des aberrations dans une église, à moins que tu veuilles te retrouver flagellé en place publique. » Derrière lui, le destinataire de ses propos : le chanteur et acteur Eddy de Pretto, stoïque et concentré.

Défilent ensuite les autres prévenus. « Crève en enfer sale chien », a écrit sur Instagram, Mallory, 20 ans, à l’encontre de l’artiste. Thomas, 22 ans, a lui qualifié l'artiste de « sous-homme de cette espèce ». « Pends-toi fils de pute. Espèce de dégénéré de merde », a conseillé Mathéo, 19 ans. La lecture des mots doux va ainsi prendre une bonne demi-heure. Une litanie de haine à base de « gros sac à merde », « PD », « fils de pute ». Derrière la virulence de ces propos se cachent en réalité des jeunes hommes polis à l’allure soignée, très « Versaillais » pour la plupart. Ils ont entre 20 et 26 ans, viennent de toute la France, Angers, Grenoble, Rambouillet, sont inconnus de la justice. En tout, ils sont 17 à comparaître jusqu’à vendredi, devant le tribunal correctionnel de Paris, pour harcèlement en ligne. Une goutte d’eau dans le torrent de haine reçu par Eddy de Pretto l’été dernier.

« La hache pour toi »

17 juin 2021, le chanteur de 29 ans se produit à l'église Saint-Eustache, à Paris. Il interprète trois titres dont « À quoi bon », dans lequel il évoque le sentiment d'exclusion ressenti par un homosexuel dans la religion. Il est question notamment de « sodomites », d’un parallèle entre « les drogues fortes » et « ces p'tit hosties dont je raffole ». Eddy de Pretto, ouvertement gay, chante aussi : « M'aimeras-tu quand même si je reste toujours tout aussi libre ? Je crois que je n'suis pas prêt pour obéir à ta Bible. » Le lendemain, il publie un extrait sur Instagram avec cette mention : « Regardez-moi bien, je chante sodomite dans une église. »

Au cours des jours qui suivent, le chanteur reçoit 3 000 messages de haine, d’internautes ulcérés que de tels propos puissent être prononcés dans un lieu sacré. Ils crient au blasphème, insultent, menacent. « La hache pour toi », prévient Elliott, 20 ans. « Oublie pas de bien regarder derrière toi en marchant », avertit Louis-Valentin, 25 ans. Yvon, 21 ans, se veut plus pittoresque : « T’es fier de chanter des trucs de dégénéré dans des églises ? Je vais te violer avec un balai dans une mosquée. Ça doit être un fantasme. Je vais te détruire espèce de PD. »

Simon s’explique. Il dit avoir ressenti « une très grosse montée de tension, quand on a les membres qui se tendent, qu’on ne sait plus réfléchir à rien », à la vue de la story du chanteur. « Ce qui m’a mis en colère, c’est qu’on ne parle pas de sexualité dans une église. » Alors, il a écrit sur Instagram : « Nous serons là à chaque date. Je dois te rappeler que l’armée de Dieu ne laisse pas ce genre de blasphème impuni. » A la barre, le prévenu semble plus penaud : « J’ai envoyé ce message en 10 secondes, je n’ai pas pris le temps de réfléchir à la forme ».

Esquives audacieuses

Kevin se veut plus entêté. Il était « affligé de voir une telle provocation. C’était une humiliation. Un crachat au visage qu’on a reçu. » « On ? », lui demande une assesseure. « La communauté catholique. »

Matthéo, lui, s’interroge : « Pourquoi chanter une chanson qui représente une aversion pour le christianisme, où on parle de drogue et de sexe, dans un lieu de culte ? Moi-même je ne suis pas croyant. Enfin, j’ai quand même une certaine affection pour le christianisme. Mon petit frère est croyant, lui. »

Les prévenus reconnaissent tous avoir envoyé les messages incriminés, mais minimisent. Ils affirment avoir réagi « sous le coup de l’émotion » ou « sans mauvaise intention ». Plusieurs préfèrent ne pas répondre aux questions du président plutôt que d’avancer des justifications ou d’émettre un soupçon de regret. Certains tentent même d’audacieuses esquives. Kevin nie que le terme « fiotte » soit une insulte homophobe : « En franc-comtois, ça désigne juste une fillette. » Noah, 23 ans, auteur de « On va te faire regretter tes actes irrespectueux », affirme pendant de longues minutes que ce message ne contient aucune menace. « Vous avez pourtant présenté vos excuses à M. De Pretto, s’étonne Nicolas Verly, avocat de la partie civile. Pourquoi ces excuses si vous n’avez rien à vous reprocher ? ». Long silence.

« Une volonté de faire le buzz ? »

Eddy de Pretto écoute, sans jamais regarder le banc des prévenus. Avant que ses détracteurs ne s’expriment, la star a passé de très longues minutes à la barre, assaillie de questions. « Est-ce que vous sentez une part de responsabilité ? », l’interroge d’abord le président « Non. Je pense que mon désir était de poser des questions en tant qu’artiste. De poser des questions cruciales sur l’homosexualité dans l’Église. J’y suis allé avec toute la positivité possible. »

Le chanteur est ensuite bombardé de questions par les avocats de la défense. « Vous comprenez que votre message a pu choquer les gens ? » « Est-ce que vous vous êtes mis à la place des croyants qui allaient lire votre message ? » « Vous avez dit que vous vouliez éduquer les prévenus. Estimez-vous que toutes les personnes qui pensent que l’homosexualité n’est pas la norme ne sont pas éduquées ? » Eddy de Pretto tente de garder son calme. À la question « Est-ce un procès contre l'Église catholique ? », il répond avec tact : « Non, c’est un procès contre la haine et la violence en ligne. »

Plus tard, il évoque les troubles du sommeil provoqués par cette vague de harcèlement, les sentiments dépressifs, la crainte d'être retrouvé au point de devoir déménager. « J’ai eu très peur, je regardais en bas de chez moi avant de sortir. Je demandais à avoir un garde du corps pour les sorties officielles. » Le chanteur était alors en promotion dans des Fnac, prélude à une tournée des Zéniths à travers la France. Une avocate de la défense en profite : « Vous étiez en pleine promotion… Y avait-il une volonté de faire le buzz ? » « Je n’ai pas envie de répondre à cette question. D’autant plus que je n’ai pas médiatisé l’affaire. » 

Le chanteur voudrait quand même insister sur un point. Le curé de la paroisse St-Eustache l’a appelé plusieurs fois pour lui témoigner de son soutien. Quant aux prévenus, plusieurs ont pris une bonne résolution : ils ont supprimé leurs réseaux sociaux.